Je refais le chemin, sans cesse, sur les lieux de mon enfance, à partir de bribes de souvenirs, je parcours sans cesse, parfois sans vraiment le faire exprès ou consciemment les endroits dans lesquels j’allais ou par lesquels je passais avec mes grands-parents, toujours avec mes grands-parents.
Le Pecq, son rond-point où je repassais encore il y a quelques années, avec sa fontaine et son étrange boule, son bassin que quelque petit malin trouvait parfois bon de saupoudrer de lessive ; la fontaine faisait alors des langues d’écume qui se dispersaient avec le vent et le gamin que j’étais se marrait comme une baleine. Saint-Germain-en-Laye, le parc du château, le café Soubise, le musée des antiquités nationales, le rond-point près du château où se trouvent encore des bâtiments de l’armée, où rien n’a changé depuis Louis XIV, et puis il y a aussi cette longue route qui longe la Seine et remonte vers Louveciennes, passe par Port-Marly, Marly-le-Roi, l’Abreuvoir que je n’avais pas vu depuis des années et qui restait pour moi l’archétype de cette époque.
Évidemment, je ne retourne pas à ces endroits de gaîté de cœur, c’est même pour le coup assez triste, mais je prends tout ceci avec assez de froideur pour ne pas m’effondrer. Peut-être le devrais-je ? M’effondrer. Si j’ai le choix, je ne préfère pas.
Je regarde mes mains, mes mains d’homme qui a parcouru un peu de chemin ; je ne suis plus l’enfant calme et taiseux qui regardait par la fenêtre de la voiture. Installé derrière ma grand-mère, je regardais les mains gantées de cuir de mon grand-père sur le volant de sa voiture que, plus tard, je conduirais à mon tour.
Passer par les terres blanches où le bus s’arrêtait en pleine journée dans des quartiers vides de toute vie, le jour où j’avais pris un congé pour accompagner mon grand-père à Paris pour qu’il passe des examens cardiaques, avant qu’il ne tombe gravement malade. Je suis resté à côté de lui, assis dans le bus. Je crois que nous n’avions jamais passé autant de temps à parler de tout et de rien, cinquante années nous séparant… Il était à fleur de peau comme il ne l’avait jamais été. Déjà. Un moment de tendresse pure comme il n’en existera peut-être plus jamais.
Tout me relie tout le temps à mes grands-parents, rien ne se passe sans qu’ils soient présents auprès de moi. Et ma vie continue avec leur présence dans les replis de mon être.
L’absence ne compte pas. Elle ne compte pour rien. Elle n’existe pas.