Chez Marcel

De temps en temps, j’aime bien aller chez Marcel. Marcel — pourquoi ce prénom que je déteste tant ? — c’est une épicerie fatras capharnaüm. Il y fait tout le temps froid, mais on y trouve là tout ce qu’il faut pour cuisiner des recettes de tous les pays. C’est le seul endroit que je connaisse dans la région où l’on trouve aussi bien des fruits exotiques, des nouilles déshydratées, des raviolis surgelés, des sodas antillais, du bouillon de crevettes fumées, de la sauce satay, des groins de porc en saumure vendus en seaux, des bougies pour Sainte Rita et des pastiches pour cheveux africains. C’est un lieu hétéroclite, surprenant, tenu par des Chinois mal aimables, où surtout l’on sent cette odeur si particulière qu’on retrouve dans toutes les épiceries d’Asie où j’ai traîné mes guêtres, en Thaïlande ou en Indonésie. Quelque chose comme une odeur de mangue pourrie, ou de durian, une odeur de putréfaction de fruit assez prégnante mais pas foncièrement désagréable. C’est une odeur qui rappelle la chaleur, l’ambiance tropicale des jours moites, les expériences malheureuses des choses qu’on aurait mieux fait de ne pas manger.
Je suis ressorti de là avec tout un tas de choses que je n’aurais peut-être pas trouvé ailleurs. De la citronnelle en branches, des rhizomes de galangal, des champignons de paille entiers, de la sauce satay pour les brochettes de poulet (ah le marché du dimanche de Chiang Mai !), du lait de coco, tout ce qu’il faut pour faire un Tom Yum ou un Tom Kha Kai.
Allez chez Marcel, c’est déjà marcher dans ses propres pas à la rencontre de ses voyages culinaires.
En sortant de là, je tombe sur une dizaine de types en costard et lunettes de soleil (il fait 3°C les mecs !!), l’un d’eux dit aux autres : « on va à Istanbul ? ». Je fronce les sourcils… Ce n’est que le nom du kebab qui se trouve juste à côté…