Ces derniers jours sont des jours durs parce qu’il y fait froid. Le vent s’agite dans un ciel de cristal, faisant danser les colonnes de fumée des cheminées sur l’horizon, laissant croire à des paquebots en partance sur une mer d’huile. Il fait un ciel d’oranges et de roses bleutés qui disent que la journée sera froide et les autres encore après elle… C’est un vrai hiver. Avec de la neige qui est tombée, mais le sol pas suffisamment gelé a tout absorbé. On ne pourra pas dire qu’on n’a pas eu d’hiver cette année. Oh bien sûr, ça n’a rien à voir avec un hiver de montagne ou un hiver de pays scandinave, mais ça reste un bon hiver que déjà je commence à trouver long.
Je me remets à rêver d’atmosphères climatisées, les immenses statues de plâtre coloré qui ornent l’intérieur de l’aéroport Suvarnabhumi de Bangkok, avec son atmosphère lente et sur-refroidie. Sur les allées qui permettent aux taxis d’emporter leurs clients, des hommes fument dans la lumière jaune et moite du matin. L’aéroport est en plein milieu des marécages. Et ces odeurs d’humidité, de pourriture… tout ici respire le compassé, mais c’est une impression incomparable, rien de ce qu’on connaît ici.
Je repense aussi à cet été en Turquie que je suis en train de tenter de finir de raconter, avec ses églises chrétiennes perdues dans des vallées de pierre blanche, un patrimoine qui se détache de la paroi, qu’on ne verra peut-être plus pour longtemps, ses odeurs de nourriture salée, le thé noir qui frémit sur le feu, et toutes ces maisons petites, étriquées, épaisses, qui sentent elles-aussi l’humidité… il neigera aujourd’hui à Göreme.
Et dire que tous les jours je passe devant cette basilique froide et majestueuse, perdue entre les immeubles réhabilités de ce vieux quartier qui contient, ici comme à Trêves, la tunique du Christ (une tunique du Christ, qui dit la vérité) ?, exposée au public, dans laquelle je ne suis jamais entré.
Le jour s’est levé, il est rose orangé, sobre, froid, comme tous les autres jours. Les jours de chaleur sont bien loin.
J’ai eu peur. J’ai redressé la tête, avec crainte, et j’ai regardé autour de moi : c’est toujours le même univers, l’ancien et celui d’aujourd’hui ! Mais ma chambre et mes meubles sont plongés dans le sommeil. J’ai transpiré. J’ai envie de voir quelqu’un à qui parler, de le toucher de la main.
Orhan Pamuk, La maison du silence
Gallimard, 1983