Journal du sensible

Le sensible est au-delà des dieux auxquels je ne crois plus depuis longtemps. Je n’arrête pas de dire que plutôt que de suivre les religions, les Hommes devraient tenter de les comprendre. Croire est tellement plus simple et beaucoup moins engageant que de comprendre que la tentation simpliste est de verser dans la croyance sans questionnement. La foi aveugle a détruit (eux disent « sauvé ») tout ceux qui se sont sacrifiés au nom d’un Dieu qui, s’il existe, se contrefiche qu’on parle en son nom.

J’arrête mon regard sur les petits livres que j’ai terminés ces derniers temps et je contemple avec une certaine joie le tout dernier que j’ai lu de Joseph Kessel. Disons plutôt que je continue de le lire, je continue une œuvre puissante qui me rapproche de plus en plus de mes rêves et de mes envies. Ce sont des auteurs aux mains caleuses, au visage buriné par l’âge et le vent de la mer, aux rêves hauts perchés, aux âmes dessinés par les horreurs de la guerre et du sang qui a coulé.

Joseph-Kessel

La grande lumière fixe, éternelle, où tournoient les vautours, les espaces où l’on sent Dieu — non pas un dieu étriqué des religions mais le Dieu des terres et des mers et des plantes et des pierres —, le galop des chevaux sauvages, la belle démarche des êtres primitifs — tout cela qui a nourri mes yeux innocents et que je n’oublie que trop — je le retrouve dès que le ciel devient plus haut, plus sec, plus dur, que les hommes prennent un regard de bêtes aux songes profonds et que la vie soudain plus vaste et plus calme respire comme une douce poitrine impitoyable.

Joseph Kessel, En Syrie
Gallimard, succession Kessel © 2014

Photo d’en-tête : Dans une rue d’Alep, avril 2013 (MUSTAFA ALI/SIPA)